Les présentations suivantes ont pour but de réfléchir au thème de la puissance et à ses nouvelles formes, en mêlant des expertises autour d’un concept au coeur des relations internationales. Il s’agit de s’intéresser à sa nature, à ses fondamentaux comme à ses nouvelles formes et acteurs et à ses nouveaux champs de manifestation, autant matériels qu’immatériels.
La première intervention, par I. Sand, traite de la puissance aérienne via une approche géographique et historique. C’est une notion qui regroupe toute utilisation de l’air et de l’espace à des fins militaires. C’est en se fondant sur des invariants comme la rapidité et la souplesse que la puissance aérienne est en mesure de jouer un rôle prépondérant alors qu’émergent de nouvelles formes de la puissance.
Pierre Buhler et Thierry Garcin présente de façon très intéressante les nouvelles formes de la puissance, distinguant invariants et ruptures. La puissance est plus qu’un pouvoir, elle est active et dynamique. C’est en quelque sorte du pouvoir en action. Tant politique que diplomatique et juridique, militaire, économique, scientifique et technique, sociale et culturelle, elle peut être interrompue et c’est en cela une forme progressive et inscrite dans l’action. Dans “Paix et guerre entre les nations”, Raymond Aron la définit comme la capacité d’imposer sa volonté. Parmi tous les facteurs classiques et renouvelés de puissance, il y a eu une véritable rupture stratégique avec l’arme nucléaire, laquelle a permis un contrôle et une maîtrise des armements mis à mal par les Etats-Unis de D. Trump. Aujourd’hui, les moteurs de la puissance sont l’informatique et l’électronique, la révolution internet, l’intelligence artificielle et le champ du cyber. Sont-ils des accélérations de la puissance ou marquent-ils une rupture ?
Après avoir longtemps été l’apanage des Etats, la puissance opère une mutation vers d’autres types d’acteurs non-étatiques qui établissent de nouveaux champs de force après la Guerre froide. Même si les jeux de puissance entre Etats n’ont pas disparu, l’après Guerre froide stimule les promesses d’un nouvel ordre international. Mais la décennie suivante et les attentats de New York et de Washington (2001) révèlent brutalement combien la puissance a changé de visage, de nature, de méthode. Toutes sortes d’acteurs transnationaux intègrent le jeu de la puissance, allant jusqu’à défier les Etats. Ils prospèrent sur trois types de terrains, de la mondialisation de la production et du foisonnement de l’entreprise transnationale dans l’économie mondialisée à l’apparition d’un potentiel nouveau pour l’action collective des individus, en passant par le décloisonnement des marchés financiers nationaux. L’autonomie de ces systèmes et leur capacité de limiter le pouvoir des Etats fait de la société civile une entité de puissance transnationale. La puissance étatique n’a tout de même pas disparu : on constate une affirmation des logiques nationales de puissance, notamment en question de sécurité et de régulation financière.
Il faut, en effet, distinguer puissance économique et puissance politique, laquelle est indissociable de l’Etat et de ses missions. Il y a à la fois un retour et une érosion de l’Etat. Le premier est incarné aux Etats-Unis par les attentats du 11 septembre 2001 ou récemment la présidence Trump et le retour au protectionnisme. Du côté de l’UE, ce sont les plans de relance après la crise de 2008. Quant à l’érosion de l’Etat, mentionnons le rôle ambivalent des lanceurs d’alerte ou la fragmentation politique dans l’UE.
Enfin, s’intéresser aux nouvelles arènes de la puissance implique de traiter de l’innovation, qui a pu produire les effets les plus structurants et durables dans l’organisation économique, sociale, politique. En témoigne la révolution des technologies de l’information et de la communication, qui permet de fonder un pouvoir collectif en donnant accès à des instruments inédits. Le cyber-espace est l’objet de toutes les convoitises et d’enjeux commerciaux, économiques et politiques. Devenu une nouvelle arène de la puissance, il dessine un champ nouveau de la compétition de puissance.
Pour conclure, derrière la forme qui nous paraît nouvelle, il faut chercher l’invariant dont dépend certainement la puissance. On retiendra la permanence et la force de cette logique de puissance, force impérieuse qui ordonne le champ des relations internationales. À la fois l’objet d’une dynamique de changements et de tensions et inscrite dans la durée, elle doit un peu au hasard et beaucoup à la méthode.
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Images et son Jérémie Rocques. Photographie Julie Mathelin et Léa Gobin. Montage Jérémie Rocques et Pierre Verluise.